Des fondateurs anonymes[1]
Qui connait William Griffith Wilson et Robert Holbrook Smith ? Personne. Pour vous comme pour la majorité des gens ce sont simplement deux anonymes. Mais pas n’importe quels anonymes puisqu’ils sont les deux premiers Alcooliques Anonymes, enfin ceux du mouvement né en 1935, qui est le sujet du présent article, pas dans l’absolu, même si malgré d’importantes recherches historiques, on ne sait pas qui sont les premiers alcooliques de l’histoire de l’humanité on peut aussi affirmer qu’ils étaient anonymes. Mais c’est une autre histoire.
Le mystère d’un rencontre dévoilé
Le mystère d’une rencontre
De la création des AA par Bill Wilson et Bob Smith on ne sait pas grand chose. Ils sont restés très discret toute leur vie. Ils évoquent une rencontre fortuite dans un bar et l’idée d’arrêter de boire et de fonder les AA. Ce qui nous sembla un peu maigre, et pour tout dire suspect, car si l’anonymat revendiqué incite à la discrétion, il est tout aussi légitime pour vous et moi, de vouloir en connaître les détails les plus juteux et croustillants. C’est dans cette optique que je me suis lancé dans un travail de d’enquête important, alliant recherche bibliographique dans les archives des journaux locaux et nationaux de l’époque, ainsi qu’un travail d’investigation de dix ans sur le terrain. Ce travail m’a permis de percer le mystère de la création d’un groupe décliné sur les cinq ou six continents selon que l’on considère l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord comme un unique continent.
La rencontre
Rentrons dans le vif du sujet. Bill Wilson et Bob Smith se rencontrèrent au bar de l’hôtel Johnny Walker a Volney dans le Wisconsin. L’un est docteur, l’autre représentant de commerce. Désœuvrés, ils se lient d’amitié et commencent à discuter, ce qui arrive fréquemment dans les films mais très rarement dans la vie. Bill vient de réussir à fourguer un aspirateur à une simple femme avec contrat de maintenance sur 20 ans, les 591 volumes de la Désencyclopédie Universilas avec paiements progressifs étalés sur 30 ans, assortis d’une assurance-vie, et d’un crédit étalés sur 70 ans. Il veut légitimement arroser ça, alors il paye tournée sur tournée. Quand au docteur Bob Smith, il fête la survie du patient qu’il a opéré l’après-midi même de l’appendicite ce qui ne lui était pas arrivé depuis 5 ans au moins, date de ses premières crises de Délirum Tremens. Bref, Bill et Bob sont de joyeuse humeur alors qu’il terminent leur quinzième tournée devant interrompu en raison de la fermeture du bar. Le barman Mario Andretti, qui nous a permis de reconstituer cette scène nos raconte qu’il les a vu partir s’appuyant l’un sur l’autre et disparaître dans les couloirs de l’hôtel
« Je les ai vu partir s’appuyant l’un sur l’autre et disparaître dans les couloirs de l’hôtel. »
Mario Andretti à propos de Bill Wilson et Bob Smith
le mystère
Le lendemain, Mario voit apparaître Bill la mine blafarde et l’air soucieux.
« Je vois apparaître eul’Bill la mine blafarde et l’air soucieux. J’lui dit comme ça, «Z’avez un peu abusé hier ! Pas facile eul’réveil, hein ?» La d’ssus, v’là qu’le gars m’tombe dans les bras en chialant. »
Mario Andretti à propos de Bill Wilson
Quand à Bob Smith, c’est le témoignage du réceptioniste Jan Kulasek (c’est un pseudo, il a désiré garder l’anonymat) qui nous éclaire.
« Je vois M’sieur Bob s’approcher de mon comptoir la mine toute grise (piss’que cet enfoiré de Mario a déjà dit qu’elle était blafarde à propos de m’sieur Bill) pour r’prendre sa clef. J’lui lance : «Z’avez grise mine m’sieur Bob» et m’sieur Bob y m’répond : «Je m’sens tout merdeux». Alors, en rigolant, j’réponds «Pourquoi ça m’sieur Bob, vous avez enculé quelqu’un ?». Et le v’là qui m’tombe dans les bras en pleurant (piss’que cette ordure de Mario a déjà dit chialant) »
Jan Kulasek à propos Bob Smith
Que s’est-il donc passé cette nuit-là ? Si les témoignages nous offrent un début de piste il nous a semblé nécessaire de pousser bien au fond nos investigations.
Le mystère dévoilé
Dans notre quête de la vérité, nous sommes tombés sur un fait divers reporté simultanément dans La Gazette de Volney et le Herald Tribune datés du 10 juin 1935, sous «Tapage nocturne intolérable à l’Hôtel Johnny Walker de Volney. Malgré la gène occasionnée, les forces de l’ordre refusent d’intervenir. Mais que fait la police ? «. Intrigués nous nous sommes rendus au poste de police de Volney afin de consulter le registre des plaintes. Un telle coïncidence piqua notre curiosité et nous avons eu accès aux registre des plaintes de la polices. Effectivement une plainte est enregistrée à la date du 10 juin 1935 à 02h34, indiquant des hommes hurlants dans une chambre d’hôtel. Nous avons retrouvé l’agent qui a pris l’appel. Il témoigne
« J’ai bien reçu ce coup de fil. J’ai demandé au type au bout du fil de me dire en gros ce qu’il entendait. Quand il m’a répondu, je lui ai dit qu’on allait pas se déplacer pour deux pédés qui s’enculent. »
Frank Drebin à propos du coup de fil du 10 juin 1935 à 02h34
. Toujours ce même 10 juin 1962, Bill et Bob décidèrent ensemble de ne plus toucher à une goutte d’alcool et fondèrent les AA.
Des débuts difficiles
On comprend mieux désormais l’idée de base des AA qui incite les gens à prendre la parole pour décrire ses expériences malheureuses découlant de l’alcoolisme mais à la condition de rester anonyme et surtout de ne rien répéter à personne[2] . Les règles elles aussi ont évolué. Si aujourd’hui les personnes doivent être dans une réelle volonté d’abstinence, ce critère était optionnelle à la création des premiers groupes, comme le montre le bulletin d’inscription reproduit ci-contre qui insistait fortement sur l’alcoolisme et l’anonymat. La volonté d’arrêter fut imposée après le passage d’un anonyme devenue célèbre.
Un anonyme devenu célèbre
En effet dans nos recherches actives nous ont permis de découvrir que Charles Bukowski fit partie un temps des AA. Nous avons là aussi le recoupement des témoignages nous ont permis de reconstruire les circonstances dans lesquelles l’écrivain américain y participa. Sur le point de vue de l’anonymat, Bukowski n’était connu à l’époque (il avait 18 ans) et alcoolique depuis l’âge de 14 ans, il fut donc accepté de bonne foi mais avec un foie déjà en pitoyable état. Les règles n’ayant pas été complètement établis, Bukowski permit par sa participation d’en établir certaines. S’il n’était effectivement pas obligatoire d’être sobre pour participer, il n’était pas non interdit d’y apporter à boire. Ce dont Bukowski ne s’est pas privé mais qui fut rapidement interdit. Par la suite, on conseilla à Bukowski d’essayer d’être sobre avant les séances. Ce qu’il fit de même, montrant ainsi qu’il était sur le bon chemin (alors que Kerouac était déjà Sur la Route). Ses proches racontent même qu’il ne commençait à boire qu’à 18h30 soit plus d’une heure après son réveil. Mais finalement ce sont les témoignages de Bukowski qui causèrent le plus de dégâts dans les rangs des AA. Écoutant les récits sordides de Bukoswki, réels ou consécutifs à ses délires, ses compagnons étaient de plus en plus nombreux à se remettre à boire. Nous avons retrouvé certains témoins encore aujourd’hui alcooliques.
« J’avais arrêté de boire depuis 10 ans déjà, j’étais tellement fier. Il a suffi d’un séance avec Bukowski pour que je replonge. »
Yvon Gattaz à propos de Bukowski.
Suite aux défections qui se faisaient de plus en plus nombreuses, Bukowski fut exclu et décida de mettre par écrit ses récits plutôt que de les raconter à une bande d’anonymes. À défaut de renoncer à l’alcoolisme, il renonça à l’anonymat. Il rend d’ailleurs un hommage aux AA, avec son style poétique inégalable.
« Je ne remercierai jamais assez les AA, c’est grâce à eux que je suis passé de la bibine au pinard. »
Bukowski à propos de Bukowski comme souvent
Les Alcooliques Célèbres
« Ich Bin ein Anonymer ! »
John Kennedy tambourinant à la porte d’une réunion.
Depuis le début, la charte des AA est très pointilleuse sur l’anonymitude des participants. Même si elle ne rejette pas d’emblée la participation de célébrités, leur participation est souvent difficile car par définition la célébrité s’accommode mal de l’anonymat. C’est la raison pour laquelle bien souvent les vedettes réels ou vielles gloires, ne sont généralement pas acceptées. C’est en réaction à ce rejet, que s’est créé le groupe des Alcooliques Célèbres qui tenait ses réunions au Palace.À leur crédit, il faut souligner que la plupart des participants arrêtèrent de boire. Pour se mettre à la cocaïne pour la plupart, certes, mais c’est un succès malgré tout.
Pourtant on note malgré tout ça et là quelques exceptions, si la célébrité exprime et joue à fond la carte de l’anonymation.
« Alors, ça, je vous assure que je sors bien d’un réunion avec Vladimir P. et pas d’une réunion des AA. »
Nicolas S.
C’est d’ailleurs dans cet esprit que suite au résultat des élections européennes de 2009, que les AA ont fait savoir qu’ils accueilleraient sans réserve Martine Aubry, ainsi que la plupart les socialistes qui sont de plus en plus anonymes. Mais tout ça n’a plus vraiment grand chose à voir avec l’histoire de Alcooliques Anonymes mais plutôt à la recherche du socialiste perdu.
Notes :
[1] Ce billet fut originalement publié sur le site de la Désencyclopédie
[2] Et ça marche. Car si les participants aux AA avaient été un peu moins anonymes et plus loquaces, j’aurais évité d’engloutir mes pauvres économies dans cette putain d’enquête.