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Réquisitoire de Pierre Desproges contre Georges Guétary

Réqui­si­toire de Georges Guétary

Fran­çaises, fran­çais, belges, belges, Mon­sieur le Pré­sident, mon chien, trou­blante et pul­peuse soprano du bar­reau, mon­sieur le jovial rou­cou­leur pyré­néen, — pouf pouf — oui : rou­cou­leur grec (Ah Ah) — par­don -, Mes­dames et mes­sieurs les jurés, public chéri, mon amour.

Que la cour en son infi­nie bonté veuille bien me par­don­ner ma plume de plomb et ma gueule de bois. Vous avez devant vous, mes­dames et mes­sieurs les jurés, un homme en plein len­de­mains qui déchantent. J’étais hier soir l’invité d’honneur d’une folle soi­rée dan­sante, certes, mais sur­tout buvante qui se dérou­lait dans les locaux de la police judi­ciaire salle des inno­cents per­dus –une salle immense-. C’était le pre­mier fes­ti­val annuel de la bavure. Qu’est ce qu’on s’est mar­rés! Le ministre de l’intérieur en per­sonne était là. C’est lui qui a remis le bavoir d’or 1981 (rires, applau­dis­se­ments) à l’inspecteur boniche, celui la même qui arrêta pier­rot le mou chez Régine et pier­rot le dur chez Rachel Welch. (rires). À lui seul, l’inspecteur boniche a réussi cette année à tuer 6 enfants et 2 chats lors de l’arrestation man­quée de l’assassin de la pleine lune. L’assassin de la pleine lune appelé ainsi pour des rai­sons que la morale réprouve, et qui est recher­ché depuis six mois par toutes les polices pour le double meurtre de la chèvre de mon­sieur Seguin. Mais direz vous, mon­sieur le pré­sident, vous qui êtes nul, certes, mais clair­voyant, com­ment cet imbé­cile –c’est moi-, com­ment cet imbé­cile peut-il par­ler de double meurtre alors qu’il n’y a qu’une seule chèvre ? Je ne me trouble pas, Mon­sieur le pré­sident, et je réponds: n’est ce pas là la preuve fla­grante que j’ai bien la gueule de bois ?

-Occire six enfants et deux chats pour rater l’assassin d’une chèvre, aucune bête au monde ne l’aurait fait. a déclaré le ministre sous les applau­dis­se­ments nour­ris des 500 plus belles peaux de vache de France. Les plus grands noms de la police étaient là : l’inspecteur Bing de la bri­gade anti bang, le com­mis­saire boum de la bri­gade anti gong, le bri­ga­dier chef Lepe­tit, dit larousse illus­tré à cause de ses traces de vérole, l’inspecteur Edmont Cu c’est du pou­let , le com­mis­saire Lephoque de la bri­gade des morses, sans oublier l’ex com­mis­saire Bou­rel, com­plè­te­ment bou­rel qui conti­nue de tirer au 11–43 mal­gré sa mala­die de Par­kin­son et qui va sur ses 103 ans, sans lâcher ni sa pipe, ni sa foi dans le métier, puisqu’il est tou­jours sur la piste de Jacques Mess­rine. À l’issue du ban­quet, le com­mis­saire Frous­sart a pris la parole pour fus­ti­ger publi­que­ment les détrac­teurs de notre police, concluant avec un brio lit­té­raire inat­tendu chez un homme d’action plus prompt à dégai­ner son flingue qu’a tirer son coup…tôt, son cou­teau. Par­don, le com­mis­saire Frous­sart a fus­tigé les détrac­teurs de la police ‚puis insis­tant sur le droit de la police à la bavure, il conclut sous les vivats : On nous dit Mort aux vaches, mais quand les vaches ont la fièvre aph­teuse, on leur reproche pas de baver. Vive la bavure.

Céré­mo­nie tou­chante donc, mais moins tou­chante tout de même que ces retrou­vailles avec Luis Mariani, heu.. Georges Gué­taré …par­don … Georges Gué­pary, excu­sez moi . excu­sez moi, j’ai tou­jours confondu Gué­tary et Mariano, parce que y en a un qui est grec l’autre il était pas grec… Mais enfin il est pas tombé loin quand même. Au fait qu’est ce qu’il devient Mariano? Mais, mais, à pro­pos de Georges Gué­tary, reli­sons plu­tôt ces très belles pages des sou­ve­nirs de Mau­rice Gene­vois, dans son livre inou­bliable : Ma Sologne c’est pas de la merde. Je lis, ne riez pas, M.G était un grand écrivain.

-Georges Gué­tary, c’est donc Mau­rice gene­vois qui parle Georges Gué­tary c’est toute mon enfance. je me rap­pelle encore c’était avant les évé­ne­ments, Je fais allu­sion à Sara­jevo, dans la vieille cui­sine basse aux murs noir­cis de fumée, grand père bour­rait sa pipe de bruyère au coin de l’âtre. Sur la toile cirée usée jusqu’à la trame, grand mère avait posé le seau de fonte ou mous­sait encore le lait de Nor­man­die de la noi­raude. C’était l’heure douce et cré­pus­cu­laire, où dans chaque ferme les pay­sans bour­rus et gru­me­leux s’apprêtaient a confec­tion­ner la spé­cia­lité solo­gnote la plus recher­chée des fins gour­mets: le yaourt bul­gare, avec des vrais mor­ceaux de bra­con­niers entier dedans. Oh, père, c’est l’heurre du yaourt disait ma grand mère. Alors grand père se levait dou­ce­ment, essuyait ses noeuds…ses doigts noueux, comme des noeuds … ses doigt noeuds, noueux, sur son pan­ta­lon, de velours sombre, qui en avait tant vu, sor­tait les petits pots de grès de l’armoire de chêne, les dis­po­sait sur la table, les rem­plis­sait du bon lait de la noi­raude et tour­nait la mani­velle du vieux gra­mo­phone sur la com­mode. alors la voix de Georges Gué­tary s’élevait vers dieu comme un gar­gouillis pathé­tique de sani­taire libéré. Aus­si­tôt, Pataud, notre vieux chien rhu­ma­ti­sant se jetait par la fenêtre en hur­lant, tan­dis que notre chat Fifi plon­geait dans le feu plu­tôt que d’entendre la suite. Seule, seule grand mère res­tait impas­sible, elle s’était défon­cée les tym­pans au tison­nier une bonne fois pour toute, la pre­mière fois qu’elle avait entendu LA ROUTE FLEURIE. Avant même le pre­mier refrain, les yaourts s’étaient faits tous seuls. il ne res­tait plus qu’a bou­cher les pots et recol­ler le papier peint. Et l’auteur de Rabo­lio, qui, ne l’oublions pas grâce a Jacques Chan­cel est devenu presque aussi connu que Maître Cap­pelo a la fin de sa vie … l’auteur de Rabo­lio conclut sur cette note opti­miste : Quand on a entendu ne serait ce qu’une seule fois dans sa vie la voix de Georges Gué­tary s’élever au des­sus des brumes de la plaine solo­gnote, on com­prend pour­quoi les Russes n’ont jamais osé enva­hir la Sologne.

Merci a toi Georges Gué­tary, merci a toi, le Zorba du glou­glou, toi dont l’organe aux accent trou­blants repris de bouche en bouche par des mil­lions de bou­dins tran­sits a plus fait pour l’extension de l’opérette en France que Mon­sieur latex pour l’extension de la capote outre-Manche. Georges Gué­tary, Mes­sieurs les jurés, a mérité votre clé­mence. J’en demande par­don par avance a notre avo­cat pul­peuse et trou­blante, a qui j’ôte le sein de la bouche, de la douche, le pain … , mais je le répète soyons clé­ments avec Gué­tary. Pour­quoi? Pour deux rai­sons. La pre­mière, c’est qu’a l’heure ou je vous parle, il ne dit rien, et comme le disait si judi­cieu­se­ment le géné­ral De Gaulle après avoir assisté a la mil­lième du chan­teur de Mexico au Châ­te­let : Un chan­teur d’opérette qui ferme sa gueule ne peut pas être tout a fait mau­vais . Enfin, la der­nière rai­son, c’est que Georges Gué­tary aura été l’un des rares artistes fran­çais a expor­ter le génie musi­cal de notre pays au delà de nos fron­tières, jusqu’en You­go­sla­vie, ou je le lis dans le Dos­sier de l’Inspection, Il reçût deux chèvres du direc­teur de l’opéra . En fait c’était une chèvre pour lui et un bouc pour Mariano, enfin c’est pas … C’était pour sa pres­ta­tion géniale dans Le Baron Tzi­gane . Ce que Georges Gué­tary n’avoue pas a cause de sa grande modes­tie, c’est que d’est le maré­chal Tito en per­sonne qui lui a remis ces deux chèvres, pour le remer­cier en outre d’avoir com­po­ser l’hymne natio­nal you­go­slave, le célèbre Tito est parti qui est encore plus beau que le Maré­chal Nous Voilà, non c’est Tito est Par­tout, par­don excu­sez moi, Tito est Par­tout cet hymne vous vous sou­ve­nez : Tito Tito par ci, Tito Tito par là …            

Pierre Des­proges

Loup — Alexandre Vialatte

IL n’y aurait plus de loup. On a été bien ennuyé. D’autant plus que dans le dic­tion­naire on en trouve encore de très beaux. Il assure que le loup fran­çais naît le plus sou­vent à Angou­lême. On ne sait pas où il vote, où il achète son pain, mais on sait qu’il vient d’Angoulême. Ce qui fait voir qu’il est bien fran­çais.
Sans le loup pas de froid de loup, sans froid de loup pas d’hiver. Pri­vée du loup, la petite exploi­ta­tion rurale, réduite à quelques musa­raignes dans un pay­sage désolé, serait sans aven­ture et sans vrai pit­to­resque. Les conteurs l’ont si bien com­pris qu’ils font du loup, par pure recon­nais­sance, un loup mytho­logique, une espèce de sur-loup qui fait peur au-dessus de ses moyens. Le loup en a d’ailleurs beau­coup, il est très exci­tant, il est cou­vert de grands poils dont on fait des des­centes de lit ; tout rêche, hir­sute, et mau­vais comme la gale ; avec une grande mâchoire longue comme un jour sans pain, qui lui per­met de mâcher des gens de dia­mètre consi­dé­rable, des char­cu­tiers dans la force de l’âge, des poètes enri­chis, des escrocs res­pec­tés, des ven­deuses de grands maga­sins.
On ne parle pas assez du loup. Rien n’est plus pas­sion­nant que le loup. Le loup est par­fai­te­ment hir­sute. Le loup est impor­tant. La zoo­lo­gie le réclame, l’hiver le veut, le fris­son le sup­pose. C’est une des grandes néces­si­tés de l’histoire, du folk­lore et de l’esprit humain. Un loup man­geant métho­di­que­ment un sous-préfet en uni­forme, ou ava­lant à la sau­vette un petit fonc­tion­naire rural, dans un site net­te­ment boca­ger, coupé de ruis­seaux et d’ombrages, est une des choses les plus déco­ra­tives qu’un gra­veur puisse ima­gi­ner. Sur­tout quand il les mange en large.
Telle est la vie ardente du loup. Du moins dans la lit­té­ra­ture.
Le loup des légendes repré­sente une réac­tion inévi­table du bon sens, une exi­gence du pay­sage, un pos­tu­lat de la sen­si­bi­lité. Le loup peut très bien se pas­ser des hommes, l’homme ne peut pas se pas­ser du loup. Où serait le plaisir ?

Françaises, Français, Belges, Belges,

Alors qu’il est aujourd’hui honoré par la Répu­blique (Vive la répu­blique !) en la per­sonne de son pré­sident, Jacques Séguéla était honoré le 25 octobre 1982 par le nom moins illustre Pro­cu­reur de la Répu­blique Des­proges Française.

Bonne écoute