IL n’y aurait plus de loup. On a été bien ennuyé. D’autant plus que dans le dictionnaire on en trouve encore de très beaux. Il assure que le loup français naît le plus souvent à Angoulême. On ne sait pas où il vote, où il achète son pain, mais on sait qu’il vient d’Angoulême. Ce qui fait voir qu’il est bien français.
Sans le loup pas de froid de loup, sans froid de loup pas d’hiver. Privée du loup, la petite exploitation rurale, réduite à quelques musaraignes dans un paysage désolé, serait sans aventure et sans vrai pittoresque. Les conteurs l’ont si bien compris qu’ils font du loup, par pure reconnaissance, un loup mythologique, une espèce de sur-loup qui fait peur au-dessus de ses moyens. Le loup en a d’ailleurs beaucoup, il est très excitant, il est couvert de grands poils dont on fait des descentes de lit ; tout rêche, hirsute, et mauvais comme la gale ; avec une grande mâchoire longue comme un jour sans pain, qui lui permet de mâcher des gens de diamètre considérable, des charcutiers dans la force de l’âge, des poètes enrichis, des escrocs respectés, des vendeuses de grands magasins.
On ne parle pas assez du loup. Rien n’est plus passionnant que le loup. Le loup est parfaitement hirsute. Le loup est important. La zoologie le réclame, l’hiver le veut, le frisson le suppose. C’est une des grandes nécessités de l’histoire, du folklore et de l’esprit humain. Un loup mangeant méthodiquement un sous-préfet en uniforme, ou avalant à la sauvette un petit fonctionnaire rural, dans un site nettement bocager, coupé de ruisseaux et d’ombrages, est une des choses les plus décoratives qu’un graveur puisse imaginer. Surtout quand il les mange en large.
Telle est la vie ardente du loup. Du moins dans la littérature.
Le loup des légendes représente une réaction inévitable du bon sens, une exigence du paysage, un postulat de la sensibilité. Le loup peut très bien se passer des hommes, l’homme ne peut pas se passer du loup. Où serait le plaisir ?